0 00 11 min 1 mth 89

Il était une fois, un chef appelé Kagni. Cet homme, dont la méchanceté était connue de tous ses sujets, avait une très belle fille qui faisait tourner la tête aux hommes du village chaque fois qu’elle les rencontrait sur le chemin du marigot.

            Son père, le savait bien. Pour soigner sa très belle fille du regard et de la convoitise des garçons, il l’enferma dans un « box » qu’il fit construire à cet effet par le menuisier du quartier dans un coin de sa propre chambre à coucher.

            Elle n’en sortait jamais le jour. Même la nuit, si elle devait en sortir, elle était toujours accompagnée d’une vieille femme qui était à son service. C’est elle qui lui apportait à manger dans sa « prison ». Celle-ci était hermétiquement fermée et la porte minutieusement verrouillée de l’extérieur. Kagnatu était le seul à détenir la clé et veillait personnellement su sa « prisonnière ». il lui arrivait d’abandonner des journée entières son travail pour rester au chevet de sa fille lorsque cette dernière souffrait d’un mal de tête ou d’un rhume. En dehors de lui, seule la vieille femme était autorisée à entrer dans le box de la jeune fille. Aucune de ses cinq épouses ne devait l’approcher même pas sa propre mère. Car disait-il, les femmes sont trop jalouses, bavarde et indiscrètes. Elles conseilleraient mal sa fille bien-aimée ou introduiraient clandestinement un garçon dans la case si elles y avaient accès. Tandis qu’une vieille femme, c’était pus sûr de la contrôler.

            Plusieurs mois s’écoulèrent. La saison sèche arriva. La chaleur devi torride l’atmosphère lourde et l’air devenue intenable, mais rien à faire. Kagnatu ne permettait pas à sa fille de sortir de son box malgré les plaintes de cette dernière. Puis un jour, elle tomba malade, gravement. Tous les remèdes qui lui furent administrés ne changèrent rien à son état. Son corps était devenu très chaud, si chaud que le chef, pris peur et finit par accepter les conseils des notables du village de faire venir un charlatan-guérisseur, l’un des plus âgés du coin, le vieux Souka. Celui-ci arriva aussitôt, ausculta la patiente, interrogea les divinités et découvrit qu’il fallait faire un sacrifice de veau blanc. Le chef Kagni envoya immédiatement acheter le veau blanc que le vieux guérisseur emporta chez lui pour les cérémonies exigées. Il promit de ramener l’animal intact une fois tué. « Ce veau mort, servira de couchette à la malade pendant quatre nuits », dit-il avant de s’en aller.

            Une fois à la maison, le vieux guérisseur tua le veau, l’écorcha proprement et organisa un festin pour sa famille. Il fit laver soigneusement la peau de l’animal, ensuite, il appela son fils l’unique qu’il avait, pour lui faire part de son idée.

            Le vieux Souka, au chevet de la fille u chef, avait su ce qui était à la base de la maladie de celle-ci. Tout le monde avait placé sa confiance en lui et il devait absolument guérir la malade. C’était l’essentiel. Quant aux mesures à prendre pour cela, il était le seul qui avait les moyens à utiliser pour y parvenir. Aussi, décida-t-il que son fils s’introduisit à tout prix dans le box de la patiente. Mais comment procéder ? Le problème était là et c’était pourquoi il avait inventé le sacrifice du veau. Le fils allait donc se faire passer pour un veau mort. Il s’habillerait de la peau du veau et serait porté par son père jusque dans la chambre de la fille. Il fallait donc se prêter au jeu et faire aboutir le plan. Un véritable stratagème !

            La nuit tombante, le guérisseur arriva au domicile du chef avec son fardeau. Tout le monde l’attendait avec inquiétude et c’était avec joie qu’il fut accueilli. Il traversa la foule sans mot dire, alla jusque dans la case et déposa sa charge dans le box e la fille. Il en ressortit aussitôt et fit des recommandations suivantes : « personnel, ni le chef, ni ses femmes, n’a le droit d’entrer dans la case où vit la malade. La vieille servante est la seule autorisée à communiquer avec celle-ci chaque fois qu’elle lui apportera à manger.

            « Désormais la ration alimentaire doit être doublée. Car les esprits et les ancêtres mangeront aussi. »

            Et si quelqu’un essayait de passer outre ces recommandations, il provoquerait les dieux qui ne tarderaient pas à punir. La fille pourrait également en mourir. Sans trois jours, les divinités feront d’approbation. Si elles acceptaient le sacrifice du veau, elles dirigeraient les sorciers qui voudraient tuer la fille vers le veau mort. Ils prendraient alors la chair et les os du veau et ne laisseraient que la peau. La malade serait ainsi sauvée. Mais si les divinités refusaient le sacrifice, alors les sorciers tueraient la fille. Dans tous les cas, le dénouement n’aura lieu que le quatrième jour, c’est ce jour-là seulement que je reviendrai », conclut-il.

            Le quatrième jour, comme il l’avait promis, le vieux Souka réapparut. Toute la famille du chef attendait, anxieuse. Il entra dans la case et en ressortit quelques secondes plus tard tenant en main la peau blanche du veau. Des applaudissements et des cris de joie fusèrent de toutes parts. Ainsi les divinités avaient accepté le sacrifice ; par conséquent leur fille était sauvée. Ce qui permit au guérisseur de faire cette dernière recommandation : « chef, votre fille va vivre et aussi longtemps que le voudront les divinités. Aucun sorcier ne peut plus l’attaquer. Elle aura un mari digne pour qui vous aurez une grande estime. Mais tout cela à une seule condition : ne plus revois fille pendant quelque mois et çà jusqu’à ce que je vous autorise. Votre seule présence à ses côtés lui causera un choc qui pourrait lui être fatal. Il faut qu’elle guérisse complètement d’abord et j’y veille personnellement. »

            Là-dessus, le vieux Souka repartit. Il revint plusieurs fois voir l’état de sa patiente.

            Neuf mois s’étaient écoulés à peine lorsqu’un beau matin, le vieux guérisseur arriva chez le chef. Le voyant venir, tout le monde se précipita vers la case du chef pour entendre le vieux. Chose curieuse, le vieux arborait pour la première fois un sourire. Le chef surpris pas ce sourire inhabituel, pressentit que quelque chose d’important allait se passer. En effet, la nouvelle tomba à la sortie du vieux de chez sa patiente. Fier et joyeux, il s’adressa au chef.

« Honorable chef, remerciez les dieux. Vous venez d’avoir un petit-fils ».

            Surprise ? Etonnement général ? Personne ne pouvait vraiment le dire. Mais quel mystère entourait cet homme ? Que voulait-il dire ? Exaspéré, le chef balbutia : « un petit quoi ? et de qui ? »

-Et ?

-Et les dieux ont décidé autrement ; l’esprit est descendu sur votre fille et elle a eu un bébé !

            Sans plus attendre et bousculant le vieux guérisseur, il se rua vers la case où se trouvait sa fille aimée. Il ouvrit la porte du box dans lequel elle était logée depuis des mois. Il s’arrêtât net, stupéfait. Un spectacle inédit s’offrait à ses yeux. La fille du chef tenait  un bébé qui venait de naître et dont le cordon ombilical n’était pas encore coupé. A côté d’elle se trouvait le fils du vieux Souka. Kagni qui venait de comprendre qu’il avait été floué par le vieux guérisseur explosa en doigtant le jeune homme. « Qui est-ce, tuez-le ! Ah ! Le salaud il m’a eu ! Puis, s’adressant au guérisseur, il lança : toi traître, tu mérites la pendaison. »

            Pendant qu’il s’évertuait à crier, tout son entourage s’activait autour du nouveau-né et de la mère. Car il fallait secourir ces pauvres malheureux qui, en réalité, n’avaient offensé personne. Au contraire, la communauté avait besoin de s’agrandir.

            Impassible et sûr de lui, le guérisseur accusa le chef : pourquoi martyrises-tu tes sujets, jusqu’à ta fille que tu prétends aimer ? A son âge, elle avait besoin de vivre comme les autres. Toutes ses camarades d’âge ont été initiées à leur cérémonie traditionnelle et ont déjà fondé leurs foyers. Toi, tu t’es obstiné à refuser à leurs foyers. Toi, tu t’es obstiné à refuser à ta fille tout contact avec les gens de son âge sous prétexte de la protéger. Et pire tu la séquestres. Ce n’est pas digne d’un chef. Je suis traître, je l’accepte, mais j’ai fait ce je devais faire. »

            Là-dessus, le vieux guérisseur disparut comme il était venu. Deux jours plus tard, une mauvaise nouvelle surprit désagréablement tout le village : le vieux Souka était trouvé mort sur sa natte dans sa case. Une belle mort, en tout cas.

            Le chef Kagni fut le plus affligé de cette brusque disparition, car, il venait de comprendre que n’eut été la sagesse de cet homme, sa fille serait morte. Il organisa des funérailles dignes en l’honneur du vieux guérisseur et bénit le jeune couple et son enfant qu’il adopta. Et depuis ce jour, il dirigea sa communauté avec droiture, amour et sagesse.

            Quant aux jeunes mariés, ils eurent beaucoup d’autres enfants et vécurent très heureux.