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Un jour, Yao tendit un piège pour crocodile. Il eut la chance d’en attraper un. Très rapidement, il imagina un stratagème. Au lieu de ramener son butin tout de suite à la maison, il lui brisa le crâne et le cacha sous un buisson puis revint calmement au village.

Il alla voir le chef du village et lui proposa d’organiser une chasse aux crocodiles. « Celui qui reviendra le premier avec un crocodile, recevra une récompense de vous, » dit-il.

Amusé par l’idée de Yao, le chef accepta la proposition sans chercher à comprendre davantage l’objectif que s’était fixé son interlocuteur et en ordonna l’exécution immédiate. Tous les hommes du village partirent donc à la chasse, chacun voulant s’accaparer le cadeau du chef.

Yao savait ce qu’il faisait. Par pareil temps, aucun crocodile ne pourrait sortir de sa cachette. L’expédition n’était que peine perdue. Mais lui, Yao, rentrerait au village avec un crocodile et un de pure race ! il sourit malicieusement et rentra à la maison pendant que les hommes se bousculaient avec leurs armes de chasseurs.

Ne pouvant plus contenir seul sa joie, Yao décida de la partager avec l’être aimé, la fille du chef, Akoua, qu’il courtisait mais qui n’osait lui accorder une œillade. Aujourd’hui au moins, pour une fois, Akoua ferait attention à lui. Elle accepterait volontiers ses avances. Et pourquoi pas ? Lui, un tueur de crocodiles. Qu’à cela ne tienne !

C’est donc avec assurance et espoir que Yao arriva au seuil de la case de l’être de son cœur. Akoua écouta son interlocuteur lui conter tout le stratagème qu’il avait monté tout seul. Elle ne lui accorda davantage attention. Imperturbable, Yao continua de plus belle. Il se vida de toute sa contenance. Or, au moment où il s’extasiait devant la belle Akoua, l’aveugle se dirigea alors vers l’endroit où ce dernier affirmait avoir craché sa capture. Arrivé au lieu indiqué, il s’affala dans la boue, se salit les vêtements et attendit.

L’heure d’aller chercher son crocodile vint. Yao avant de partir fit un clin d’œil à Akoua qui, « piquée au vif, » commençait à l’admirer en douce. Il sortit de la maison en sifflotant un air amoureux. Tous ceux qu’il croisait sur son passage s’étonnaient de le voir en habits de fête pendant que les autres tentaient leur chance tout au long de la rivière pour ramener un crocodile au village. A ceux là qui osaient lui poser la question, il répondait avec son air assuré ; « moi Yao, il me faut seulement quelques minutes pour tuer un crocodile. Je laisse les autres chasser les leurs. Je parie d’ailleurs que personne ne tuera de crocodile. »

En effet, ce jour-là, personne ne tua de crocodile. Yao arriva auprès du buisson où il avait caché son butin. Il l’y trouva tel qu’il l’avait laissé et il cria victoire. Il le hissa sur ses épaules et prit le chemin du village en chantant : « je suis Yao. Personne ne peut m’égaler. Le cadeau du chef me reviendra car je suis le seul à avoir tué un crocodile ». L’aveugle qui attendait à quelques pas accourut vers Yao en lui demandant : « Yao, je t’entends chanter, qu’est-ce qui t’arrive ? » Fou de joie, il répondit avec fierté et moquerie : « Ah ! Oui, si toi tu pouvais voir, tu verrais que je viens de tuer un crocodile, et un gros ! Dire que tout le coin a été ratissé et que moi je viens d’arriver. Je vous dis que moi je suis le plus grand, le plus fort, le chasseur le plus redouté, le meilleur dan tout ce village. Vous êtes grisé, je vous comprends, par l’amour propre et personne ne veut ouvertement le reconnaître. En voici la preuve. »

-fais-moi voir ça, dit l’aveugle.

-toucher, tu veux dire, rectifia Yao qui, tout fier, s’approcha de l’aveugle et lui fit toucher le crocodile.

Sous prétexte d’évaluer son importance, il lui demanda de le laisser soupeser l’animal. Yao accepta et déchargea le crocodile sur les épaules de l’aveugle. Ce dernier laissa choir le crocodile dans la boue et le salit. Mecontent, Yao intima l’ordre à l’aveugle de lui remettre son crocodile car il entendait le présenter au chef aussi propre qu’il était. L’aveugle s’y opposa énergiquement et commença a crier au secours. Yao comprit que l’aveugle voulait lui jouer un sale tour. Une foule de chasseurs vola immédiatement au secours de l’aveugle. Celui-ci leur fit comprendre que Yao tentait de lui arracher le crocodile que lui, l’aveugle, venait de tuer. Yao ne put s’expliquer car comme le dit l’adage, tout menteur n’est jamais cru même lorsqu’il dit la vérité. Yao avait en effet l’habitude de mentir, il le payait ce jour-la. Personne ne voulut donc l’écouter. Mais, pour que l’affaire pût être tranchée dans la légalité, l’assistance conduisit les deux compères au chef du village. Celui-ci reconnut que le crocodile appartenait à l’aveugle car Yao en habit de fête ne pouvait prétendre revenir de la chasse.

            Yao, hué et ridiculisé, ne sut et ne put se défendre, puisque  tout semblait donner raison à l’aveugle. Mais, Yao n’est pas homme qui pardonne. C’est ainsi qu’il imagina une autre ruse. La nuit, il alla étendre avec soin de la glu sur la pierre où le chef s’assoit habituellement. Le lendemain, celui-ci s’assit sans faire attention sur son siège préféré et prit toute la colle aux fesses. Faut-il encore préciser qu’en ces temps-là les gens allaient complètement nus ?

            Plusieurs jours passèrent sans que le chef ait pu aller aux selles. Et pour cause ! La colle avait hermétiquement bouché son anus. Le chef commençait à se sentir très mal. La nouvelle se propagea sur tout le territoire. Un appel fut lancé aux devins, charlatans, guérisseurs, herboristes, etc. chacun essaya de le guérir. Mais, personne n’y arriva. Le ventre du chef devint rapidement un véritable ballon gonflé à excès prêt à éclater à tout moment. En désespoir de cause, le chef envoya chercher Yao qui n’avait plus fait son apparition depuis l’affaire de crocodile car, dit-il, « cet individu possédait plus d’un tour dans sa poche. Peut-être saura t-il me guérir ? Nul ne sait ». yao, lui, savait qu’on viendrait le solliciter. Il refusa dans un premier temps de se rendre au chevet du malade. Il exigea après supplication de l’envoyé du chef une forte récompense et le chef lui promit un cheval. Ce fut ainsi qu’il accepta de consulter le malade.

            Le diagnostic fut bref mais terrifiant, pathétique. La maladie du chef est grave, très grave. Si dans quelques heures on ne le guérissait pas, il abandonnerait ce village à ces problèmes. Il n’allait pas tarder à mourir. Or, on ne peut le sauver qu’avec une chose impossible. Seule la tête d’un aveugle peut guérir le chef dit sèchement Yao !

            Un murmure général dans la salle. ‘’La tête d’un aveugle !’’ S’exclama le chef. ’’Oui, la tête d’un aveugle ou vous mourrez’’, renchérit Yao. Les conseillers du chef et les notables  du village se réunirent et approuvèrent Yao. Il valait mieux sacrifier un aveugle pour que le chef vive. Là-dessus, le chef envoya chercher l’aveugle du village. Celui qui avait ridiculisé Yao en lui volant son crocodile. Il fut amené par les gardes. A la vue de Yao, il comprit ce qui l’attendait. Aussi, se mit-il à se confesser tout en implorant le pardon du chef : « Yao veut se venger de moi. C’était lui qui avait tué le crocodile que je lui avais volé. Il faisait des confidences à votre fille Akoua lorsque je passais derrière la case et j’ai tout entendu. J’ai voulu alors lui jouer un sale tour. Ayez pitié. »

Ayant retrouvé son autorité suite à la déclaration de l’aveugle du village, Yao demanda au chef, qui allait de plus en plus mal, de faire enfermer celui-ci. Ce qui fut fait immédiatement. Yao demanda de l’eau chaude dans une bassine et y fit asseoir le chef en formulant des incantations. Vérité ou mystification ? En tout cas, la colle se détacha subitement de l’anus du chef si bien que les selles, urines, jaillirent en jet d’une hauteur et puissance effroyables. Tous ceux qui se trouvaient au chevet du chef (notables, valets, coursiers, épouses, enfants, parents…) furent parfumés dans un rayon de plus de dix mètres. Le ventre du chef devint du coup méconnaissable, soufflet flasque.

            Le chef fut sauvé. Une fois encore, Yao avait pris le dessus sur ses concitoyens. Le chef tint promesse. En plus du cheval blanc, il dona a Yao sa fille Akoua, la Belle Akoua en mariage. D’une pierre, Yao avait réussi à faire deux coups.

            Quant à l’aveugle, le temps qu’il passera en prison lui permettra de comprendre qu’il n’est pas sage de tricher même pas Yao dont le comportement est peu recommandable.

One thought on “Yao et l’aveugle du village (Ewe Traditional Folktale)

  1. Une histoire très intéressante sur l’apparition de la nuit et du jour. On dirait que ce n’est que le début d’un grand récit sur la création du monde.

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